412

 

412 était tombé dans un trou. Il ne l’avait pas fait exprès et ignorait comment c’était arrivé. Toujours est-il qu’il se trouvait maintenant au fond d’un trou.

Juste avant sa chute, il en avait plus qu’assez de marcher à la traîne de la princesse et du jeune magicien. Ils semblaient l’avoir emmené à contrecœur, il était transi et s’ennuyait ferme. Aussi avait-il décidé de leur fausser compagnie et de rentrer au cottage, dans l’espoir d’avoir un moment tante Zelda tout à lui.

C’est alors que le haar s’était levé.

A tout le moins, la Jeune Garde l’avait préparé à ce genre de situation. Plus d’une fois, on les avait conduits dans la Forêt, lui et sa section, afin qu’ils retrouvent leur chemin dans la nuit et le brouillard, tous n’y arrivaient pas, bien sûr. Il y avait toujours un malheureux pour tomber entre les griffes d’un glouton affamé ou dans un piège tendu par une sorcière de Wendron. Mais 412 avait de la chance et il savait se diriger dans l’obscurité sans se faire remarquer. Aussi silencieux que le haar, il était revenu sur ses pas afin de regagner la maison. A un moment, il était passé si près de Nicko et Jenna qu’il n’aurait eu qu’à tendre le bras pour les toucher, mais il s’était éloigné sans un bruit, heureux de se sentir enfin libre et indépendant.

Un peu plus tard, il atteignit le monticule herbeux au bout de l’île. Il fut décontenancé, car il était certain de l’avoir déjà escaladé. Logiquement, il aurait dû se trouver à proximité de la maison. Peut-être s’agissait-il d’un autre monticule ? Peut-être en existait-il un à chaque bout de l’île ? Il commença à se dire qu’il s’était égaré. Il lui vint à l’esprit qu’il aurait très bien pu marcher sans fin autour de l’île sans jamais parvenir au cottage. Dans sa préoccupation, il perdit son équilibre et tomba de tout son long sur un petit buisson hérissé d’épines. C’est alors qu’il sentit le buisson céder sous son poids. L’instant d’après, il tombait dans le vide.

L’épaisseur du brouillard étouffa son cri de surprise et il atterrit lourdement sur le dos, le souffle coupé. Il resta un moment immobile, se demandant s’il s’était cassé quelque chose, puis il s’assit lentement. La douleur était supportable. Il avait eu la chance de tomber sur un sol mou - du sable ? - qui avait amorti sa chute. Mais en se relevant, il se cogna la tête à un rocher. Ça, ça faisait mal !

Une main plaquée sur le sommet de sa tête, il étendit le bras et explora les bords du trou qui lui avait livré passage. La paroi rocheuse s’élevait en pente douce, aussi froide et lisse que de la glace, n’offrant aucun indice ni aucune prise.

Avec ça, il faisait noir comme dans un four. 412 n’apercevait pas la moindre lueur au-dessus de lui et il scrutait en vain l’obscurité, espérant que ses yeux finiraient par s’y accoutumer. Mais il aurait aussi bien pu être aveugle.

Il se laissa tomber à quatre pattes et tâta le sable autour de lui. Une idée folle avait germé dans son cerveau - creuser un tunnel pour s’échapper -, mais en grattant le sol, il rencontra presque aussitôt un socle rocheux tellement froid et poli qu’il songea à du marbre. Il avait vu du marbre les quelques fois où il avait monté la garde devant le palais, mais il doutait qu’on en trouve aussi facilement dans les marais de Marram, au milieu de nulle part.

Assis par terre, il ratissait nerveusement le sable avec ses doigts, tentant d’élaborer un plan. Il était parvenu à la conclusion que la chance l’avait abandonné quand sa main effleura un objet métallique. Il reprit courage, pensant avoir trouvé ce qu’il cherchait - une serrure ou une poignée cachée -, mais quand se refermèrent sur l’objet, son cœur se serra. Qe n’était qu’un anneau. Il le prit dans le creux de sa main et baissa les yeux vers lui, même s’il ne pouvait le voir.

— Si seulement j’avais un briquet, marmonna-t-il.

Il écarquillait les yeux, s’efforçant de distinguer l’anneau, comme si cela allait changer quelque chose à sa situation. Au bout d’une éternité qu’il passa seul, assis sur le sol glacé du sombre réduit souterrain, l’anneau finit par se réchauffer au contact de la petite main humaine qui le tenait pour la première fois depuis qu’il avait été perdu, il y avait de cela des lustres.

412 se détendit. Il s’avisa qu’il ne craignait pas l’obscurité et qu’il était en sécurité, bien plus qu’il ne l’avait été depuis des années. Il se trouvait à des lieues de ses tortionnaires de la Jeune Garde et ceux-ci ne risquaient pas de le trouver ici. Il sourit et s’adossa contre la paroi. Il allait découvrir une issue, cela ne faisait aucun doute.

Il décida tout à coup d’essayer l’anneau. Comme il était trop large pour la plupart de ses doigts, il le passa à l’index de sa main droite, le moins maigre des dix. Il le fit tourner autour de son doigt, goûtant la chaleur qu’il dégageait. Très vite, il éprouva une sensation bizarre. On eût dit que l’anneau était devenu vivant, qu’il rétrécissait pour épouser son index. En plus, il émanait de lui une faible lueur dorée.

412 le contemplait avec ravissement. Enfin, il pouvait examiner sa trouvaille. Il ne ressemblait à aucun des anneaux qu’il avait vus jusque-là. Un dragon en or s’enroulait autour de son index, tenant sa queue serrée dans sa gueule. Ses yeux vert émeraude étincelaient, et 412 avait l’impression étrange qu’ils étaient fixés sur lui. Dans son enthousiasme, il se leva et tendit sa main droite devant lui. Son anneau, son dragon brillait à présent aussi fort qu’une lanterne.

412 regarda autour de lui à la clarté dorée de l’anneau et constata qu’il se trouvait à l’entrée d’un tunnel. Un passage étroit, découpé proprement dans la roche, s’enfonçait encore plus profond dans le sol devant lui. Il leva la main au-dessus de sa tête et scruta le puits sombre par où il avait atterri. A première vue, il n’y avait aucun moyen de remonter par là. L’orifice était trop loin pour qu’il puisse l’atteindre. Malgré ses réticences, il n’avait pas d’autre choix que de suivre le tunnel en espérant qu’il le mènerait à une autre issue.

Il se mit en route, tenant l’anneau devant lui. Le tunnel au sol sableux descendait en pente douce. Il décrivait des zigzags, débouchait parfois sur des culs-de-sac ou obligeait 412 à tourner en rond, lui faisant perdre ses repères et semant la confusion dans son esprit. Celui qui avait construit ce tunnel semblait prendre un malin plaisir à l’égarer.

Cela explique sans doute qu’il ait raté la marche.

Étendu au pied de l’escalier, 412 retenait son souffle. Il tenta de se convaincre qu’il n’avait rien. Il n’était pas tombé de très haut. Mais il lui manquait quelque chose. L’anneau avait disparu. Pour la première fois depuis qu’il s’était engagé dans le tunnel, la peur s’empara de lui. L’anneau ne faisait pas que l’éclairer ; il lui tenait compagnie. Il le protégeait aussi du froid, songea-t-il en frissonnant. Il se mit à tâtonner autour de lui, les yeux grands ouverts, cherchant désespérément à apercevoir une faible lueur dorée dans le noir complet.

Rien !

Il ne voyait rien. Le désespoir l’envahit, aussi fort que le jour où son meilleur ami, 409, était tombé à l’eau au cours d’un raid de nuit et qu’on ne les avait pas autorisés à s’arrêter pour le repêcher. Il prit sa tête dans ses mains, prêt à renoncer.

C’est alors qu’il entendit chanter.

Une mélodie douce et harmonieuse s’éleva et parvint à ses oreilles, l’invitant à la suivre. A quatre pattes (il n’avait pas envie de dégringoler d’un autre escalier - pas maintenant), il se déplaça vers la source du chant, centimètre par centimètre, en explorant le marbre froid. A mesure qu’il se rapprochait, l’appel se faisait moins pressant et le chant perdait de sa puissance. Soudain, il n’entendit plus qu’un murmure bizarrement assourdi et comprit qu’il venait de mettre la main sur l’anneau.

Il l’avait retrouvé. Ou plutôt, c’était l’anneau qui l’avait retrouvé. Avec un sourire joyeux, il glissa le dragon à son doigt et les ténèbres se dissipèrent autour de lui.

Après, ce fut un jeu d’enfant. L’anneau le guida le long du tunnel. Celui-ci était maintenant plus large, tout droit et ses murs de marbre blanc ornés de centaines d’images rudimentaires peintes dans différentes nuances de bleu, de jaune et de vert. Mais 412 ne leur prêta guère attention. Tout ce qu’il désirait à présent, c’était atteindre au plus vite la sortie. Aussi avança-t-il jusqu’à trouver enfin ce qu’il attendait : un escalier qui montait. Rassuré, il gravit les marches, puis une pente raide et sablonneuse qui menait à un cul-de-sac.

À la clarté de l’anneau, il aperçut l’issue tant espérée. Une vieille échelle était appuyée contre un mur, juste au-dessous d’une trappe. Il monta à l’échelle, leva le bras et poussa la trappe. À son grand soulagement, elle bougea. Il poussa un peu plus fort, entrebâillant le volet de bois. Il faisait aussi sombre dehors, mais la différence de température lui indiqua qu’il avait regagné la surface. Comme il tentait de se repérer, il distingua un mince trait de lumière au ras du sol et poussa un soupir de soulagement. Il savait où il se trouvait : dans le placard à Potions Instables et Poisons Partikuliers de tante Zelda. Sans faire de bruit, il se hissa à travers l’ouverture, rabattit la trappe et remit en place le tapis qui la dissimulait. Puis il ouvrit la porte du placard avec précaution et risqua un œil à l’extérieur.

Tante Zelda confectionnait une nouvelle potion dans la cuisine. Elle leva les yeux de son travail quand il passa à pas de loup devant la porte, mais elle semblait préoccupée et ne dit rien. 412 se dirigea vers la cheminée, brusquement très fatigué. Il ôta l’anneau de son doigt et le glissa dans la poche qu’il avait découverte à l’intérieur de son bonnet rouge. Il s’étendit sur le tapis à côté de Bert et sombra presque aussitôt dans le sommeil.

Il dormait si profondément qu’il n’entendit pas quand Marcia descendit l’escalier et ordonna à la plus haute et la plus branlante des piles de livres de tante Zelda de décoller du sol. Il n’entendit pas davantage quand L’Art de vaincre la Ténèbre, un gros ouvrage très ancien, se dégagea de dessous la pile et vola jusqu’au fauteuil le plus confortable, près de la cheminée, ni le froissement du papier quand le livre s’ouvrit docilement à la page que Marcia désirait consulter.

Il n’entendit pas non plus le cri de Marcia quand, voulant gagner le fauteuil, elle faillit marcher sur lui, recula et posa le pied sur Bert. Mais il fit alors un rêve étrange, dans lequel une troupe de chats et de canards furieux le pourchassaient le long d’un tunnel puis l’enlevaient dans les airs pour lui apprendre à voler.

Perdu dans son rêve, 412 sourit. Il était libre.

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